Batheaston Villa et l’élaboration d’un nouveau modèle de sociabilité britannique
Les jeux poétiques de Batheaston
Frontispice de Poetical Amusements at a Villa near Bath, Containing a Description and Examples of Poems Read at Sir John and Lady Miller's house. 1775. Bath Central Library Collection.
Dans sa villa de Batheaston, village situé non loin de Bath, Mrs Miller (par la suite Lady Miller) organisa des jeux poétiques de 1774 à 1781. Chaque semaine, les participants étaient invités à concourir sur un thème établi à l’avance et à déposer dans une urne ramenée d’Italie leur production poétique. Acrostiches et bouts-rimés furent un temps de rigueur, et les meilleurs poèmes publiés dans une série de quatre volumes. Des personnalités du monde artistique et littéraire firent de courtes apparitions à Batheaston, tel Garrick dont deux poèmes intitulés « « Grace and simplex munditiis » et « The Pleasures of May at Batheaston » furent sélectionnés; d’autres, à la renommée plus locale, tels Christopher Anstey ou Richard Graves, devinrent membres de ce cercle littéraire. Pour certains lauréats, comme Anna Seward, couronnée à plusieurs reprises, Batheaston constitua un tremplin vers la célébrité.
Batheaston Villa, laboratoire d’une nouvelle sociabilité
Batheaston Villa c. 1825. Aquarelle de John Chessell Buckler.
Attaquée et moquée pour la médiocrité de ses publications à vocation philanthropique, l’institution présente un intérêt sociologique indéniable. En effet, elle constitue un exemple remarquable d’hybridation, par ses emprunts à des rituels à la fois continentaux et londoniens. C’est après un voyage de deux ans, effectué en France et en Italie, et un séjour à Londres qu’Anna et John Miller commencèrent à organiser des petits-déjeuners poétiques dans leur villa.1
Le caractère novateur de l’entreprise réside dans le lien qui fut formalisé entre sociabilité littéraire et philanthropie, comme l’indique Mrs Miller dans la préface du volume II : “We have nothing to do with criticism, the object of our institution is Amusement, its end Charity : it concerns us little who ridicules the one, or reprobates the other.” Le lieu, au même titre que les salons parisiens, mais sur un mode mineur, fut un laboratoire d’idées et un révélateur de talents. Il relança la carrière en sommeil de Christopher Anstey et constitua une chambre de résonance pour Anna Seward qui devint le cygne de Lichfield et fut au centre d’un autre réseau littéraire provincial.
Anna Miller, personnalité controversée
Matthew Darly, « Mount Parnassus or the Bath Sappho », eau-forte n°5 des Bath Characters (1777).
Lady Miller, hôtesse ambitieuse, tenta de rivaliser avec les salonnières françaises, telle Madame Du Deffand dont elle avait fait la connaissance lors de son séjour en France. Cependant, elle ne se contenta pas du rôle de maîtresse de maison traditionnellement dévolu à la femme mais devint rapidement responsable de la publication d’ouvrages qui s’apparentent, à bien des égards, à des anthologies. En opérant une sélection des œuvres publiables, en les réécrivant pour certaines, elle fit un travail d’édition qui ne lui valut pas que des amis, comme l’explique Anna Seward dans une lettre à Thomas Whalley du 1er octobre 1781. Elle donna de la visibilité à un cercle obscur et, malgré ses détracteurs au nombre desquels l’on trouvait Horace Walpole, Lady Georgiana Spencer ou Lady Delany, joua un rôle d’arbitre dans les débats littéraires de son temps. Ses ‘anthologies’ témoignent d’une évolution du goût vers la littérature sentimentale, en passe de détrôner la satire, proscrite des volumes du cercle. En dernière analyse, le caractère compétitif des jeux poétiques correspond à un tournant dans l’histoire des rapports entre auteurs, qui ne s’opposèrent plus dans le cadre d’une disputatio, mais pour l’obtention de prix.2 Qu’une femme ait pu contribuer à favoriser cette orientation témoigne d’une influence féminine grandissante sur la scène littéraire.
Annick COSSIC (UBO, Brest).
1 Voir Transversales II, Les enjeux thérapeutiques et esthétiques de la sociabilité au XVIIIe siècle, Editions Le Manuscrit, 2013, www.manuscrit.com, 231-261.
2 Voir Robert Wuthnow, Communities of Discourse (Harvard: Harvard University Press, 1993, 347-49).