Des carnets au tableau : Amsterdam
– dans les photos ci-dessous, les proportions sont conservées entre le tableau format A2 et les carnets (un A4 – ¼ surface du tableau, et un A6 ¼ surface du carnet A4)
L’icone « Aquarelles » de la page d’accueil du chapitre Peinture qui mène à la présente page est une partie de ce tableau en cours d’exécution.
Questions :
Multiplicité de vues du même paysage
3 formats : petit carnet pour travail dans la rue, grand carnet pour vue à partir d’une fenêtre, tableau
même paysage sous lumières différentes (soir en contre-jour, matin en pleine lumière), peinture et photo.
Notions picturales – les problèmes posés au peintre et les réponses :
Formes architecturales et variations de textures :
la représentation d’un lieu urbain, constitué dans la réalité des volumes réguliers et symétriques des maisons, pose une difficulté en peinture de paysage, où les variations de formes sont recherchées – à l’inverse du dessin d’architecture, qui doit reproduire la forme géométrique des bâtiments.
Réponse : les peintres ont plusieurs procédés pour apporter ces nuances, comme les dégradés, les jeux de couleurs.
Pleins et vides :
une composition picturale est un jeu entre les motifs pleins (maisons, objets, personnages) et les vides relatifs qui les enveloppent – atmosphère entre les objets, ouvertures de fenêtres ou de rues, ciels plus ou moins nuageux, surfaces d’eau ; ces espaces relativement vides (partiellement car le ciel peut comporter des nuages qui forment des volumes, l’eau a des reflets), sans attirer l’attention du spectateur qui se porte sur les éléments solides, ont en fait un grand rôle subconscient ou affectif. On emploie plusieurs paires de mots pour cette opposition – motif et fond, figure et champ, ou encore forme positive et forme négative, forme et contre-forme (certains de ces termes étant plutôt employés en critique d’art, d’autres en psychologie de la perception).
Réponse : la technique picturale vise à donner à ces fonds leur plein rôle d’accompagnement pour le motif principal, par plusieurs procédés – certains déjà évoqués par Reynolds dans son Discours XIII (1786).
I Variations de nuances
Canal Singel et pont Oude Spiegelstraat vus d’une fenêtre, donc à mi-hauteur par rapport aux bâtiments (vers le sud-ouest – le soir donc en contre-jour) – esquisse sur grand carnet faite sur place et aquarelle grand format faite en atelier
Carnet A4 (papier 180 g)
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Problème: – La position à mi-hauteur étant celle qui rend l’architecture de la façon la plus simple (c’est celle qui est habituellement choisie dans les dessins de ville puisqu’elle rend négligeables les déformations de plongée ou de contre-plongée), les variations nécessaires en peinture seront alors apportées par des effets de texture, de nuance et d’ombre qui donneront un rythme. La similitude relative des silhouettes des maisons entraîne une recherche de solutions diverses : pignons de couleurs vives et pignons de couleurs froides distinguant les maisons, avec effet contradictoire de rappels entre les couleurs de fenêtres de deux maisons, symétries de formes mais dissymétries dues aux ombres qui tombent d’un côté. Ces variations devront être développées en grand format. – En matière de composition, comment placer sur la feuille ce rang de maisons pour que leur suite offre assez d’originalité ; comment articuler, par rapport aux lignes directrices de la composition, les volumes solides des maisons avec les deux formes négatives, ciel et eau ? Sur le carnet, le pont aide à fixer l’ensemble dans la feuille.
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Tableau A2 (papier demi-carton grain torchon 640 g)
Réponses : contrairement à ce qu’on pourrait croire, la peinture n’est pas uniquement une affaire de pigments, même si c’est ce que le spectateur perçoit. Deux autres composants jouent un grand rôle, le papier et l’eau. Ces éléments de fond dans lesquels les motifs de couleur se mêlent jouent avec eux, et ils apportent la réponse aux questions posées plus haut.
Le papier
Grossi 8 fois par rapport à la photo d’ensemble : détail du toit dans la maison vers la gauche |
l’effet est un combiné de la couleur plus ou moins épaisse ou diluée et des grains du papier – le papier choisi ici est le plus absorbant (autrement dit : on choisit un papier pour chaque aquarelle selon le résultat désiré), grain permettant des effets de texture et d’accrochage de lumière par les grains du papier, aussi faisant que les touches de peinture en empâtements s’y accrochent, ce qui donne une texture marbrée avec les creux du papier, apportant ainsi les irrégularités qui nuancent les volumes simples des bâtiments. |
L’eau
Eau et couleurs :
Les pigments se fondent dans l’eau de plusieurs façons, à la fois en raison des textures différentes selon les couleurs et d’après le mode de mélange avec l’eau.
(position des gros plans)
Touche nette et fondu, valeur foncée et valeur claire : Pour suggérer l’irrégularité des formes, les nuances des façades et des volets, on glisse de la touche à bords net à la touche fondue dans l’eau, ce qui entraîne une variation de valeur – une partie de la touche est en couleur pleine glissant vers une autre en couleur plus légère éclaircie par le papier blanc apparaissant au dessous ; cet effet est multiplié en grand format par rapport à l’esquisse. Il y a jeu entre les contours nets esquissant une forme d’un côté d’une maison, et leur passage en dégradé vers une surface floue, puisque la maison étant à peu près symétrique, il suffit qu’un des côtés soit explicite et l’autre suggéré, en un vide relatif qui fera errer le regard du spectateur pour compléter et prolonger les formes de façon plus atmosphérique. |
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Ici par exemple les deux maisons à toits rouges dans la partie gauche du tableau, dont la ligne de faîte et la partie gauche sont plus explicites puis se prolongent vers la droite jusqu’à se fondre dans le ciel du couchant de nuance proche. Les textures de pierre et de brique sont aussi variées par les effets de granulation des pigments.
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Les cernes, causés par une touche mouillée placée sur la couleur presque sèche, ajoutent des courbes qui s’élargissent en auréoles donc en formes plus larges que les motifs qu’ils enveloppent. |
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le ciel gris-bleu vers le milieu forme un cerne plus haut que le sommet du toit, lui donnant un cadrage laissant un espace autour d’une zone d’atmosphère lumineuse
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les
courbes des cernes peuvent aussi entrecouper des motifs
distincts et les relier : un même cerne rouge traverse
l’arrivée du pont sur le quai et le bas des maisons vers le
milieu.
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Jeux de couleurs et réactions à l’eau : la façon dont les couleurs se fondent ou se superposent dans l’eau contribue à marquer les volumes |
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complémentaires voisines : les complémentaires font des contrastes qui attirent le regard, ainsi jaune et violet dans le ciel entre la partie lumineuse et le nuage, violet se poursuivant moins dilué dans la maison vers la droite en bleuté avec contour rose, unissant ciel et bâtiments
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une couleur chaude (dans les rouges) avec un peu de couleur froide devient ombrée mais garde sa tonalité, en même temps que la couleur froide devient légèrement vive, avec effet d’inversion – ainsi bleus et rouges de cette maison, d’autant que l’outremer par la granulation caractéristique de ce pigment dans l’eau laisse entrevoir le rouge léger au dessous
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inversions de couleurs et contrepoints – un volume ressortira s’il est peint de deux couleurs opposées (claire et sombre par exemple, ou froide et chaude), glissant de l’une à l’autre dans l’eau ; ainsi le pont ressort, perpendiculaire au canal, du fait du contrepoint de couleurs d’ombre en contre-jour vers le milieu entre des lumières ; les fenêtres dans les maisons de droite donnent une impression de profondeur du fait qu’elles sont mêlées en contraste ou superpositions de couleurs bleu vert et jaune rouge
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Eau et composition :
les éléments de la composition : les contours sont ici les maisons et le quai puis le pont les formes plus floues sont les couleurs diffuses du couchant autour des toits, les nuages et les reflets dans l’eau.
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Ces éléments sont à harmoniser dans la composition en tiers (ici choisie du fait qu’elle sera sans doute la plus familière au visiteur), et les lignes directrices tracées sur ce schéma sont tantôt support de volumes architecturaux, tantôt axes de zones atmosphériques : une architecture essentielle, le quai continué par le pont, a été placée sur le tiers horizontal du bas, ce qui lui donne assez de solidité, par sa simple position sur le repère au tiers attirant le regard, pour permettre de la traiter en nuances plus suggestives qu’explicites mais le tiers horizontal du haut passe, par rapport aux toits des maisons, soit en dessous, soit en dessus, ce qui donne de la variété, la ligne des toits oscillant autour de ce repère sans coïncider les deux lignes de tiers verticales croisent cette ligne horizontale du haut sur deux points d’atmosphère (non sur les volumes solides), à gauche dans l’auréole rouge et jaune qui entoure une maison, à droite dans un nuage bleu violet entre deux pignons, donnant ainsi aux couleurs du ciel (inverses : une chaude et une froide) un rôle de construction enveloppant les volumes, et mettant en valeur les effets atmosphériques par leur position sur ces points directeurs.
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Les types de mélange entre l’eau et les pigments varient donc les textures, et ils fixent même la structure d’ensemble en articulant dans la composition le jeu des bâtiments et des atmosphères. |
II Comme comparaison :
– vue du même paysage en format portrait, le matin en éclairage direct (format réduit de moitié ici, l’original est de même taille que le premier tableau)
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Usage des contrepoints (même objet à la fois en clair et en sombre) pour donner du relief dans une scène lumineuse : un objet sombre, le réverbère de métal en bas à droite, est éclairé en haut où il accroche le jour et devient sombre plus bas où il est dans l’ombre, sa partie éclairée a une zone d’ombre le pont clair à gauche dans la partie d’où vient le soleil devient sombre à droite dans la partie plus cachée pour lui donner du relief perpendiculaire au quai – la lumière prend le pas sur les formes
Les parties vides, eau et reflets, sont plus dessinées que les maisons avec des couleurs plus vives, ce qui multiplie la luminosité
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– ci-dessous deux photos le soir et le matin
– autre comparaison : vue d’Amsterdam en petit carnet A6 (150 g satiné) pour esquisse dans la rue : le même pont vu du quai de l’autre côté du canal Singel, donc de plus bas, même direction vers le sud, le soir
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à niveau de rue, le pont et l’eau occupent une plus grande place et leur articulation repose sur le contraste du vert et du rouge (complémentaires), tandis que les maisons se fondent dans le ciel cette esquisse étant de plus petite taille, les grandes lignes sont de couleurs plus proches – le grammage plus faible et le grain satiné favorise les lignes et les taches
Le point de vue bas concourt avec le type de papier du carnet pour faire que les grandes lignes dominent plus que les textures.
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